Mahamat Idriss Deby : Les grands défis du Président élu du Tchad - BBC News Afrique (2024)

Mahamat Idriss Deby Itno a été déclaré définitivement élu dès le premier tour de la présidentielle du 6 mai, par le conseil constitutionnel. De nombreux défis l'attendent, en tant que président élu.

En confirmant la victoire de M. Deby dès le premier tour de la présidentielle du 6 mai, le conseil constitutionnel du Tchad a mis fin à tous les espoirs du leader de l'opposition, Succès Masra, qui avait déposé un recours demandant l'annulation du scrutin.

Après trois ans à la tête du pays comme président de la transition, Mahamat Deby connait certainement les défis qui l'attendent.

Si l'insécurité semble se hisser au sommet, il n’y a pas qu’à elle que le nouveau président du Tchad devra faire face.

Il y a beaucoup d’autres urgences dans ce pays de l’Afrique centrale, en proie également au problème d’emploi des jeunes, à l’insécurité alimentaire, à la misère, au manque d’eau potable et d’électricité, etc.

« Le Tchad est resté scotché parmi les derniers pays lorsque l’on parle de l’indice du développement humain, c’est dire que c’est un pays dans lequel, les voyants sociaux économiques sont plus ou moins tous au rouge. Allant de la santé, a l’éducation en passant par l’économie », confie Dr Hoinathy Remadji, anthropologue, chercheur principal pour l’institut d’études de sécurité (ISS) au Tchad.

Pendant la campagne électorale, les candidats ont promis un « Tchad merveilleux », où les populations qui manquent de tout dans ce pays, seront à l’abri des maux qui affectent le quotidien.

Entre les besoins élémentaires des populations, une armée dont la professionnalisation devient un idéal à atteindre et l’insécurité sur le territoire, l’espoir repose désormais sur le nouveau locataire du palais de la présidence.

Mettre fin à l’insécurité alimentaire

Fin 2023, les Nations Unies ont alerté le monde sur le drame humanitaire qui se déroule au Tchad. En effet selon l’organisation onusienne, 5,7 millions personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire, à la malnutrition, dont plus de 2 millions dans une situation très critique.

« C’est la pire crise depuis une décennie. Ces personnes ne peuvent tout simplement pas répondre à leurs besoins alimentaires de base », avait déclaré Violet Kakyomya, la Coordonnatrice résidente des Nations Unies et Coordonnatrice de l’action humanitaire au Tchad.

L’augmentation générale des prix des denrées alimentaires reste le problème à la base de cette insécurité alimentaire.

Et selon les Nations Unies qui ont mené une étude dans l’Est du Tchad, le prix du sorgho a augmenté de 55% à Sila et celui du mil de 30% dans le Ouaddaï.

Cette flambée des prix des denrées alimentaires est causée par l’arrivée massive des réfugiés soudanais au Tchad. « Les ressources disponibles ont connu un épuisem*nt précoce et les prix ont flambé de façon exponentielle », selon les Nations Unies.

A cette situation s’ajoutent les déplacements forcés, les urgences sanitaires et les effets du changement climatique qui impactent fortement le Tchad.

Les aides humanitaires arrivées jusque-là dans le pays ne suffisent pas pour résoudre le problème.

C’est en cela que les nouvelles autorités du Tchad doivent suffisamment œuvrer pour inspirer confiance aux partenaires en vue de drainer ces derniers aux chevets du pays.

Trouver une solution à la crise économique dans le pays depuis plusieurs années

Cette insécurité alimentaire trouve son origine dans la crise économique qui frappe de plein fouet le pays depuis plusieurs années.

Le combat contre la vie chère est mené par des syndicats et autres associations de défense des droits de l’homme dans le pays, qui évoquent également des cas de corruption qui demeure dans l'impunité.

Cependant, à chaque fois que les syndicats veulent manifester pour dénoncer la situation, ils ont toujours été accueillis par une interdiction de manifester. Ce qui crée la frustration au sein de la population.

La pauvreté continue de gagner du terrain dans le pays. Selon une étude de la Banque Mondiale en 2023, mise à jour le 21 mars 2024, la pauvreté et la vulnérabilité y sont omniprésentes. 42,3% de Tchadiens vivent en dessous du seuil de la pauvreté (2,15 dollars par jour par habitant).

Cette extrême pauvreté, selon toujours la Banque Mondiale, reste élevée et augmente de façon significative « passant de 31,2 % en 2018 à 34,9 % en 2021 et 35,4 % en 2023 ».

Ajouté à ces difficultés, les Tchadiens peinent à trouver l’électricité et l’eau potable qui sont des denrées de plus en plus rares.

Résoudre le problème énergétique et le manque d’eau potable

Alors que les syndicats appelaient à des grèves et que la grogne montait contre le délestage électrique au Tchad, le gouvernement de la transition dirigé par Mahamat Idriss Deby avait décidé de rendre gratuites l’eau et l’électricité à la fin de l’année dernière.

Une partie des factures d’eau et d’électricité a été prise en charge par le gouvernement. Depuis le 1er mars 2024, les Tchadiens dont la consommation ne dépasse pas 300 kWh pour l’électricité et 15 mètres cube pour l’eau, ne paient plus leurs factures.

Cependant, la mesure n'enchante pas les populations parce que ces dernières ne trouvent même pas ces denrées qui sont devenues rares dans le pays.

« La population se demande toujours comment on peut profiter de la gratuité d’une ressource qui n’existe pas », indique un habitant de Ndjamena au correspondant de BBC Afrique dans la capitale tchadienne.

De nombreuses personnes préfèrent passer la nuit à la belle étoile à Ndjamena en ces temps de forte chaleur à cause de l’absence du courant électrique. Dans la capitale, des quartiers peuvent rester pendant des semaines sans électricité.

« Dans mon quartier, sur 1 à 2 mois, à peine nous avons l’électricité un seul jour et juste pour quelques heures. Avec la forte chaleur de ces temps-ci, la température dans les chambres même à la tombée de la nuit est insupportable. Nous avons donc fait l’option comme la majorité des Ndjaménois de passer la nuit à la belle étoile afin de profiter de la fraicheur de la nuit pour mieux dormir », confie un autre Ndjamenois à BBC.

Les populations vivent la même galère en ce qui concerne l’eau. Tellement la situation est préoccupante que cela a fait l’objet de sujet de campagne des candidats engagés dans la course à la magistrature suprême.

Mahamat Idriss Deby, qui a dirigé la transition pendant 3 ans, a promis qu’en cas de victoire à la présidentielle, chaque Tchadien aura de l’électricité 24h sur 24 et 7 jours sur 7.

« Quand je suis arrivé à la tête du gouvernement, j’ai découvert que 90 % des Tchadiens n'ont jamais vu l'électricité depuis l’indépendance. Si je suis élu président, je demande cinq ans aux Tchadiens, pour mettre fin à 60 ans d'obscurité », a promis Succès Mastra, Premier ministre de la Transition, candidat à cette élection.

Difficilement les Tchadiens croient en ces promesses, puisque selon eux, le problème perdure depuis des années.

« Les candidats font plein de promesses au sujet de l’accès à l’électricité. Mais les populations n’y croient pas. Ils ne prennent donc pas au sérieux les promesses politiques sur le sujet », fait savoir un Tchadien.

Mahamat Idriss Deby élu président du Tchad a donc fort à faire sur ce plan, car il doit surprendre les populations qui ne croient plus en leurs dirigeants.

Selon la Banque Mondiale, le taux d’accès à l’électricité au Tchad est le plus bas dans le monde (6,4%). Moins de 35% de la population ont accès à l’électricité dans la capitale, Ndjamena. Seulement 1% dans les autres provinces.

Il y a également la hausse du prix du carburant qui préoccupe énormément ces populations. Le litre d’essence qui était 518 FCFA est passé à 730 FCFA, soit une augmentation de 40%. Le gasoil a augmenté de 18%, passant de 700 FCFA à 828 FCFA.

Créer un environnement favorable à l’emploi des jeunes

Beaucoup d’analystes affirment que la Transition a échoué en ce qui concerne le problème d’emploi qui touche surtout les jeunes diplômés dans le pays. Pour d’autres, ce problème est récurrent dans le pays depuis plusieurs années, avant même le début de la transition.

70% de la population tchadienne est constitués des jeunes de moins de 35 ans, selon le Premier ministre Succès Mastra lorsqu’il présentait le programme du gouvernement en janvier 2024.

Le taux de chômage chez les jeunes de moins de 25 ans est estimé à 22% et il est de 35% au niveau de sous-emploi. Au Tchad, les jeunes porteurs de projets peinent à avoir accès aux crédits bancaires, et ceux qui arrivent à se lancer dans une activité sont confrontés au problème de taxes exorbitantes.

Selon la Plateforme des jeunes diplômés sans emploi qui a procédé à un recensem*nt en janvier dernier, la ville de Ndjamena seule concentre 14 785 jeunes diplômés sans emploi.

Les espoirs de la jeunesse sont tournés vers le nouveau président.

A toutes ces difficultés qui assaillent déjà les populations, s’ajoutent l’insécurité qui règne sur le territoire avec la progression des rebelles et les jihadistes qui sévissent, même si les attaques de ces derniers ont baissé d’intensité ces derniers temps.

Professionnaliser l’armée et sécuriser le territoire contre les groupes armés

Le Tchad est depuis des années en proie à des groupes de rebelles qui opèrent sur le territoire. Ils ont toujours été combattus par l’armée du Tchad réputée pour sa puissance sur le continent, avec sa sollicitation sur plusieurs fronts dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel.

Mais les incursions des rebelles, de mêmes que celles des groupes djihadistes, notamment Boko Haram et l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) n’ont jamais cessé.

Pour arriver à bout de ces rebelles, selon les experts d’International Crisis Group, il faut penser à la professionnalisation de l’armée tchadienne. C’est l’un des défis du nouveau président élu.

Les tensions communautaires et les problèmes d’indisciplines fragilisent la cohésion qui devrait régner au sein de cette armée évaluée à plus de 65.000 soldats en 2020.

Mahamat Idriss Deby Itno est donc appelé à travailler pour plus de représentativité et de professionnalisation de l’armée au sein de laquelle il y a beaucoup trop de mécontentements, selon International Crisis Group.

Il doit « répondre aux mécontentements qui s’expriment et permettre un débat public sur le futur de l’armée nationale », notent les experts d’International Crisis Group.

« Des garde-fous doivent être soutenus par les partenaires du Tchad pour décourager d’éventuelles violences en cas de vacance du pouvoir », poursuit le Think-tank.

Un rapport de ce groupe de recherche a constaté que « certains officiers ont en effet refusé de combattre leurs « parents » rebelles et d’autres, certes peu nombreux, ont publiquement critiqué la gestion des affaires militaires ».

Eu égard à cela, il est clair que le problème d’insécurité dont souffre le pays depuis des décennies, a encore de longs jours devant.

En plus, les experts de ce groupe notent qu’il y a des abus et des cas de corruption qui ternissent l’image de cette armée. Ce sont des fléaux contre lesquels le nouvel élu devra lutter pour rendre l’armée républicaine et ainsi espérer lutte efficace contre l’insécurité interne et les jihadistes.

Redresser l'administration et prioriser le social

Les populations tchadiennes, surtout les jeunes, attendent beaucoup du prochain président de la République. Ils espèrent des mesures concrètes de sa part afin que des problématiques cruciales, notamment l’emploi, l’insécurité alimentaire, la crise énergétique et l’insécurité sur le territoire soient abordées avec efficacité.

Mais le Docteur Hoinathy Remadji, anthropologue, chercheur principal pour l’institut d’études de sécurité (ISS) au Tchad, reste sceptique quant au changement que peut apporter cette élection présidentielle dans le pays.

« Cette élection ne peut changer la face du Tchad que si le système en place est balayé ou renouvelé. Sans cela, les mêmes logiques risquent de continuer à présider le destin du Tchad », indique-t-il.

Il souligne que tout est urgence dans le pays. « Les infrastructures dans ce pays sont au plus bas : route, hôpitaux, écoles, etc. A cause de la cherté de la vie, la ménagère connait les pires difficultés pour remplir son panier et prendre soin de sa famille ».

Et d’ajouter : « Le secteur privé est très contracté et la fonction publique qui reste le principal employeur dans le pays, n’intègre plus de jeune depuis plusieurs année et quand cela est fait à compte goutte, le clientélisme et le tribalisme prennent le dessus ».